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5 avril 2016 2 05 /04 /avril /2016 17:29

Spectacle présenté au Galet le mardi 1er Mars 2016

 

 

Animé par Charmila Abou Achiraf  Ali Bacar, Chloé Bidau, Cassandre Duflot, Laura Jouannel, Jeanne Lartaud et Nassourania Soilihi

 

Compte rendu rédigé par Maxime Suaire et Emma Gassie

 

 

 

Jeudi 10 Mars : le krinomen a pour sujet le spectacle mis en scène par Laurent Laffargue Le jeu de l'amour et du hasard au Galet de Pessac. Le metteur en scène bordelais renoue une fois de plus avec son amour du répertoire classique en remettant au goût du jour cette pièce de Marivaux. Il cherche, selon lui, à questionner les inégalités sociales encore récurrentes de notre société. Et quoi de mieux que la pièce de Marivaux où les rôles de serviteurs et de maîtres s'échangent pour traiter de ce sujet là ? Sur un plateau sous forme de double tournette, les jeunes comédiens tout juste sortis d'école donnent vie à des personnages haut en couleurs pris dans un tourbillon de stratagèmes qui tournent à la cocasserie.

 

Pour débuter ce krinomen Maxime, installé dans le public, reçoit un appel et va s'installer à sa table pour prendre des notes. Ceci est un clin d'oeil au personnage de Arlequin qui arrive sur le plateau depuis la salle après avoir fait sonner son portable. Le groupe d'animation a ensuite diffusé des images du spectacle afin de raviver la mémoire de chacun. Après avoir demandé qui avait vu le spectacle nous avons entamé un rappel de ce qu'était le spectacle avec sa scénographie, ses costumes …

 

Les étudiants ont parlé de tons pastels et d'une scénographie épurée qui n'était pas encombrée par du matériel inutile et qui du coup laissait la place au jeu de comédien. Ils ont appréciés l’enchaînement fluide entre les tableaux grâce à la tournette. Cette tournette représentée pour eux le jeu, l'enfance. Ce jeu enfantin était aussi appuyé par le tourniquet au centre du plateau au tout début du spectacle. Pourtant au fur et mesure de la pièce cette légèreté enfantine s'estompe mettant les personnages face à la complexité de l'amour. Quoiqu'il en soit la scénographie d’Eric Charbeau et de Philippe Casaban est une vraie machine à jouer où les comédiens jouent un jeu de cache-cache constant : derrière les murs, dans l’entrebâillement d'une porte …

Pour ce qui est des costumes, les étudiants ne les ont pas trouvés superflus, plutôt simples, actuels et efficaces. Il a toutefois persisté un questionnement du fait qu'en échangeant leurs costumes les maîtres et les valets avaient changés quelques détails, exemple : Silvia en prenant la tenue de Lisette a mis des escarpins plutôt que les baskets qu'avait Lisette au début du spectacle. De plus, si Silvia prend la même robe que sa servante, cette dernière porte une tenue beaucoup plus élaborée que celle que portait sa maitresse au début du spectacle, et quand nous voyons Arlequin arriver nous comprenons bien qu'il en est de même pour lui car Dorante paraît être quelqu'un de simple et son valet porte des vêtements tout à fait extravagants. Nous nous sommes donc questionné sur ce changement de costumes. Était-ce un véritable choix dramaturgique ?

Les sujets de la musique et de la lumière n'ont pas été épilogués. La musique intervenait lorsque la tournette fonctionnait pour changer de tableau. Cette musique était récurrente et servait en quelque sorte de fil rouge au spectacle. La lumière quant à elle était très sobre, souvent froide et englobant le plateau et à quelques moment particuliers plus chaude et resserrée.

 

 

 

L'équipe d'accueil a ensuite lancé la question du jeu des comédiens. Les étudiants l'ont en général apprécié. Le comique du jeu cabotin et ponctué de singeries a fonctionné pour eux. L'arrivée d'Arlequin a notamment marqué le public. En effet lorsque son portable a sonné dans la salle, le public révolté s'est retourné vers lui. Et lorsque celui ci a répondu les gens ont commencé à être vraiment en colère contre lui, ce dernier a même parfois reçu des insultes. Cet effet a permis de briser les conventions théâtrales qui impliquent le silence du spectateur. Le question qui a été soulevée a été de savoir si Marivaux avait cette volonté de dénoncer par le rire. Les avis divergeaient. Pour certains cette volonté de faire un spectacle comique faisait défaut à la critique de fond. Pour d'autres Marivaux cherchait avant tout à faire rire, le thème traité n'était qu'un prétexte, la mise en scène fonctionnait donc.

 

Nous avons ensuite traité des images souvent admises comme clichés et préjugés dont a usé Laurent Laffargue pour critiquer les inégalités encore persistantes dans notre société. Pour certains le personnage de Lisette était la représentation de la servante écervelée, comme Arlequin. Les deux personnages par leur liberté corporelle et de langage étaient moins dans la retenue que leur maîtres Silvia et Dorante, ce qui les a rendu selon les avis soit touchants soit agaçants. Certains y ont donc vu un stéréotype des valets fanfarons et naïfs, un jeu cabotin en opposition au jeu tragique de leurs maîtres. Pour d'autres ces personnages ne représentaient pas des clichés ou des stéréotypes mais plutôt des figures notamment très courantes dans le théâtre de Marivaux. Tous se sont accordés pour dire qu'Orgon et Mario étaient les personnages en fond de toile qui jubilaient de l'action avec un regard presque enfantin.

 

Laurent Laffargue fait un parallèle entre la société dont traite Marivaux et celle d'aujourd'hui. L'équipe d'animation a donc demandé aux étudiants si la pièce de Marivaux pouvait résonner encore aujourd'hui avec la mise en scène de Laurent Laffargue. Il est clair pour tous que la pièce a été recontextualisée d'abord dans le choix des costumes et de la scénographie qui font écho aux codes d'aujourd'hui : décoration contemporaine, tenues actuelles (robes courtes, baskets, blazer …), utilisation du téléphone portable ... Pour autant est-ce que cela suffit à faire résonner Le jeu de l'amour et du hasard aujourd'hui ? Pour certains cela a fonctionné car le cloisonnement social est encore présent de nos jours, de plus les relations amoureuses et les unions en fonction des classes est encore un questionnement actuel car on peut se complaire à fréquenter les personnes du même milieu. De plus ce jeu de tromperie dans les relations amoureuses a fait écho pour une étudiante aux relations sur internet où la personne à qui nous parlons n'est peut-être pas celle que nous croyons. Pour d'autres la transposition dans notre monde actuel fut plus complexe notamment par rapport à la barrière de la langue. Le langage trop sophistiqué s'impose ici comme un blocage vers une réappropriation de la pièce. De plus le contexte actuel n'est pas celui de Marivaux, ce qui amène certaines incohérences par rapport aux problèmes que peut soulever notre société actuelle. Certains étudiants ne se sont donc pas senti concernés mais ont apprécié le spectacle comme une histoire qu'on leur raconte, d'une société qui n'est pas la leur.

 

De quels stratagèmes a usé Laurent Laffargue pour amener le rire ? Ont-ils fonctionné ? Voilà la question suivante qui a été posée aux étudiants. La recherche du comique est évidente dans la mise en scène de Laurent Laffargue. En plus du comique de situations et de langage amenés par Marivaux dans l'écriture de sa pièce, le metteur en scène a ajouté du comique de geste. Ces gestes très chorégraphiés et rythmés amenaient un comique qui pour certains était loin d'être subtil et qui était plutôt utilisé comme une valeur sûre afin de rendre le texte de Marivaux plaisant. Pour autant dans la majorité de l'assemblée le spectacle de Laurent Laffargue a fait rire, les gags à répétition ont fonctionné notamment dans le couple Arlequin/Lisette au jeu très enfantin qui fût ici rattaché à des figures « prince et princesse ».

 

 

Nous nous sommes ensuite demandé quelle était la place du spectateur dans cette mise en scène de Laurent Laffargue. Était-il témoin ou participant à l'intrigue ? Dans l'intrigue de Marivaux, le spectateur est évidemment témoin de l'intrigue car il sait dès le départ la manigance qui s'est préparé chez Silvia et Dorante. Il rit donc de cette supercherie dont il a pleine conscience. Il semblerait ici que Laurent Laffargue ait voulu inclure le public notamment avec les personnages du père et du frère. Ces deux derniers s'avancent au bord de scène pour parler directement aux spectateurs dans la salle ou leur lancent des regards complices. Certains ont donc senti un rapport complice avec ces deux personnages. Pour d'autres, même si Laurent Laffargue a voulu casser les codes en faisant démarrer un comédien du public, ils n'ont pas eu l'impression de dépasser leur place de spectateur. Le lien avec le public fût pour eux succinct et ne leur a pas permis de se sentir inclus dans l'intrigue mais tout bonnement témoins de cette dernière.

 

 

Nous avons ensuite traité de l'effet miroir du spectacle. Il était d'abord flagrant dans la scénographie : double tournette, deux portes … Les jeux dans l'espace fonctionnaient eux aussi régulièrement en duos : deux fauteuils face à face, jeu avec les deux portes … Il faut dire que les scènes de la pièce Le jeu de l'amour et du hasard se jouent souvent en duos : duo maître/maître, valet/valet ou maître/valet. Cet effet de miroir est donc très présent aussi chez les personnages. Les maîtres, malgré leur déguisement et leur assurance, ont en face d'eux leur opposé social et tombent amoureux et il en est de même pour les serviteurs. Se reconnaissent-ils donc à travers leurs costumes ? De plus les situations se déroulent aussi en miroir, nous partons de deux manigances identiques chez les maîtres et terminons pas deux relations amoureuses évoluant parallèlement.

 

Enfin, le dernier axe de notre débat était d’aborder le « théâtre dans le théâtre » dans cette mise en scène de Laurent Laffargue à travers la question du jeu.

Dans un premier temps, ce qui est relevé par les étudiants c’est la différence de « niveaux » de jeu. La direction des comédiens s’étale sur une palette qui va du « sobre » à « l’outrancier ». C’est justement par cette outrance (i.e un jeu cabotin), que le « jeu dans le jeu » est introduit. Mais cette idée est déjà naturellement présente dans le texte de Marivaux car les quatre personnages centraux (Silvia, Lisette, Dorante et Arlequin) jouent chacun un rôle, ils endossent une personnalité qui n’est pas la leur mais qu’ils donnent à voir comme une seconde vérité d’eux-mêmes et des autres dont ils prennent le rôle.

De plus, on peut trouver à plusieurs moments, dans cette mise en scène de Laurent Laffargue, une tentative de désamorcer le rapport frontal inhérent à la « boite noire » comme par exemple certains changements de costumes à vue, ou alors l’arrivée de Arlequin qui n’était encore que dans une position de spectateur dont il s’échappe pour monter sur scène.

Néanmoins, cette aspect méta-théâtral de la création de Laurent Laffargue ne fait pas  consensus. Pour certains, si l’on peut parler de « théâtre dans le théâtre » pour cette mise en scène, alors ce terme pourrait s’appliquer de manière totalement gratuite à n’importe quelle création théâtrale. En effet, le dispositif reste dans le schéma classique de la frontalité.

 

Pour finir notre krinomen nous avons décidé de laisser un moment de parole libre pour ceux et celles qui n'auraient pas dit tout ce qu'ils souhaitaient sur le spectacle ou qui auraient aimé revenir sur un sujet abordé durant le krinomen. Et c'est le jeu de l'interprète de Silvia, Clara Ponsot, qui fût au centre de ce dernier débat. Son jeu a déplût à beaucoup d'étudiants. Jugé trop mélodramatique et jugé en trop grand décalage par rapport aux autres comédiens. Ils ont reproché ses passages trop radicaux du rire aux pleurs, le manque de finesse de son jeu, et un besoin (vaniteux ?) de se démarquer des autres. Était-ce un problème de direction d'acteur de la part de Laurent Laffargue ? Pour d'autres cette interprétation était un choix de la part du metteur en scène qui a voulu faire de Silvia un personnage particulier dans son excès et son caractère lunatique. Pour autant la plupart des étudiants ont trouvé un manque de constance chez les comédiens qui ne semblaient pas croire en leur personnage car la couleur donnée par Laurent Laffargue n'était selon eux pas la bonne.

 

La majorité des étudiants présents à ce krinomen a apprécié la mise en scène de Laurent Laffargue qui a proposé un regard actuel sur la pièce de Marivaux. Le jeu de l'amour et du hasard est devenu un véritable manège de situations loufoques qui a eu l'effet comique souhaité par le metteur en scène. 

 

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3 avril 2016 7 03 /04 /avril /2016 09:36

 

Spectacle présenté du 8 au 12 mars 2016 au TnBA, Krinomen du 17 mars 2016

 

 

Animé par Émilie Depierrefixe, Pénélope Diot, Marlène Duranteau, Mathilde Lascazes, Shérone Rey et Cyril Tellier.

 

Compte-rendu rédigé par Émeline Hervé et Alma Boitelle.

 

 

Le spectacle Soeurs a été écrit et mis en scène par Wajdi Mouawad, metteur en scène, dramaturge et comédien d’origine libanaise (ayant vécu au Québec puis en France), connu internationalement pour sa tétralogie Le sang des promesses, cycle auquel il a consacré douze ans de son travail (création et diffusion comprises). Il a aussi adapté à la scène les sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues. En parallèle de ces adaptations, il a entamé le Cycle Domestique, une série de cinq créations, inaugurée par Seuls en 2008, suivie de Soeurs en 2014. Frères est actuellement en création, Père et Mère à l’état de projets.

 

En amorce du krinomen, les chargés de l’animation se sont adonnés à une retranscription de certains éléments phares du spectacle (une reprise en play-back de « Je ne suis qu’une chanson » de Ginette Reno, etc).

 

L'équipe d'animation entame le krinomen en demandant une description du spectacle du point de vue de la trame narrative, des éléments scéniques, visuels et sonores qu'elle se charge de compléter.

 

Soeurs présente la rencontre de deux femmes : Geneviève Bergeron et Layla Bintawarda. La première est médiatrice en zone de conflit, la seconde est experte en sinistre pour une compagnie d’assurance. Toutes deux ont cinquante ans, des parents vieillissants qui ont connu un exil et toutes deux portent en elles les combats, les déceptions et les humiliations de leurs parents et de leurs familles. Geneviève a vu les ravages d’une politique d’anglicisation forcée au Manitoba et l’arrachement d’une sœur adoptive à son foyer. Layla a connu l’exil du Liban, déchiré par la guerre, les immigrations successives en France puis au Canada, et enfin la mort de sa mère qui l’a obligée à devenir une femme pour son père et une mère pour ses frères. Quand Geneviève, coincée par une tempête de neige, loue une chambre d’hôtel interactive qui l’empêche de parler français, ses souffrances enfouies remontent à la surface. Elle ravage sa chambre d’hôtel et se cache dans le sommier du matelas. Le lendemain, Layla arrive pour faire le constat de sinistre. Elle reçoit un appel téléphonique de la mère de Geneviève qui l’amène à exprimer son mal-être et à rejoindre Geneviève sous le matelas. Layla décide ensuite de retourner vers son père tandis que Geneviève apprend que son assistante a retrouvé la trace de sa sœur adoptive.

 

Sur scène nous avons un dispositif indépendant du reste du plateau, une sorte de boîte sans couvercle, en ellipse, dont la face public s’ouvre et se ferme par le milieu. Au début du spectacle, la boîte est fermée, on ne sait donc pas ce qu’il y a derrière cette paroi. Geneviève arrive et se met à chanter par-dessus Ginette Reno sur le morceau « Je ne suis qu’une chanson ». Ce passage chanté est interrompu par un coup de téléphone la ramenant à la réalité. C'est sa mère qui lui apprend le décès de son oncle. Sur la paroi de la boîte est projetée l’image d’un pare-brise tel qu’on peut le voir quand on est conducteur. Ce coup de téléphone sert d’introduction au personnage de Geneviève Bergeron (son métier, la relation conflictuelle avec sa mère). Par la suite, on assiste à une conférence de Geneviève pour la formation de futurs médiateurs de conflits, on apprend que son départ pour le Mali est imminent et qu’elle va devoir passer la nuit dans un hôtel de Toronto à cause d'une tempête de neige. C’est donc après cette introduction que le huis-clos s'installe, la boîte s’ouvre et donne à voir la chambre d’hôtel, ultra-connectée : un lit double au centre, une porte vers la salle de bains et un frigo à cour, une ouverture vers le balcon et un placard à jardin.

 

Tout au long du spectacle des phrases vont défiler, des vidéos apparaître puis disparaître sur les murs de la chambre. La chambre d’hôtel étant le seul lieu représenté sur scène, des vidéos des pièces adjacentes avec une incrustation de Geneviève à l’intérieur vont être projetées sur les murs correspondants (par exemple : sur la paroi à cour de la boîte, là où il y a la porte de la salle de bain, la salle de bain va être projetée lorsque Geneviève prend un bain).

 

Au niveau de la composition sonore, au-delà des deux diffusions de « Je ne suis qu'une chanson » (dans un premier temps en version originale française et ensuite en arabe), il y a très souvent un fond sonore qui accompagne (guitare et violon) de façon presque imperceptible (beaucoup étaient d'ailleurs étonnés de se rendre compte qu'il y avait du son). Il est aussi important de préciser que tous les personnages apparaissant sur scène (Geneviève, Layla, mais aussi la femme de chambre, la gérante de l’hôtel, la policière) sont joués par la comédienne Annick Bergeron.

 

L'équipe d'animation lit la note d'intention de Wajdi Mouawad :

 

« Au volant de sa Ford Taurus, écoutant Je ne suis qu'une chanson de Ginette Reno, Geneviève Bergeron pleure ; peut-être parce que les mots, si puissamment portés par la voix de la grande diva québécoise la renvoient à ce qu'elle ressent, là, sous la tempête de la décennie. Roulant à 25 km/h sur le trajet Montréal-Ottawa, elle voit défiler ses manques. Elle, l'avocate brillante qui a voué sa carrière à la résolution des grands conflits, est incapable de nommer le moindre de ses désirs. Sa jeunesse est passée. Elle le comprend là. Mais Geneviève ne sait pas encore combien sa coupe est pleine... Elle n'a aucun moyen de deviner que la goutte dérisoire qui renversera son vase l'attend, patiemment, dans la chambre 2121 du palace d'Ottawa. »

 

 

  • Quand la plupart des seuls en scène durent entre une heure et une heure et demie, deux heures et dix minutes, est-ce que ce n’est pas trop long ?

 

Dès le début, certains remarquent une différence entre rythme et longueur, si le rythme peut manquer ce n'est pas pour autant que le spectateur s'ennuie et trouve le temps long. Ceci est appuyé par le fait que ce n'est pas un monologue mais un seule en scène, ainsi elle est certes seule physiquement mais il y a de multiples personnages ce qui aiderait à tromper l'ennui. Il y a assez d’événements scéniques et dramatiques qui permettent de maintenir l'attention : tout d'abord il y a deux histoires l'une après l'autre, celle de Geneviève et celle de Layla. Pour défendre cette lenteur, il a beaucoup été question de rythme du quotidien et de la sensation de vivre cette pièce au présent. Cette lenteur quotidienne permettrait d’ailleurs de mieux saisir les deux personnages, leurs histoires respectives et comment ces dernières se recoupent.

 

D'autres au contraire regrettent ce qu'ils appellent un « rythme fatal », le spectacle serait beaucoup trop long et même si l'histoire est bien écrite elle ne suffit pas à capter l'attention, notamment pendant la deuxième partie après le massacre de la chambre. Les longueurs seraient aussi dues à la présence d'une seule actrice, pour permettre les changements de personnages elle doit bien changer d'apparence, être en off…

 

Le fait qu'il n'y ait qu'une seule actrice est alors mis en discussion : certes, elle change d'apparence, il y a une volonté de brouiller la clarté, d'entretenir l'illusion, certains spectateurs n'ont même pas vu qu'il s'agissait d'une seule comédienne. Dans ce cas pourquoi s'imposer un choix qui peut devenir contrainte ? Cependant, elle dialogue avec de nombreux personnages (la mère de Geneviève, le père de Layla, l'assistante) et avec le public (lors de la conférence notamment). La présence d'une seule comédienne permet de faire vivre le hors scène et de multiplier les procédés pour créer du dialogue d'une manière différente de ce dont on peut avoir l'habitude.

Ce seule en scène permet aussi de mettre en valeur l'aisance de l'actrice : la maîtrise des accents, des corps différents est évoquée. Le micro permet aussi un rapport assez direct au public, il n'y a pas d'obligation de parler fort, de distancer. Le micro aide à passer de la réalité à la fiction, à naviguer entre les différents personnages. De plus, les projections et modulations de voix soutiennent la comédienne. Enfin quelqu'un parle aussi d'un choix découlant du processus de création, Mouawad voulait qu'il s'agisse uniquement d'Annick Bergeron. Il fallait que cela reste un seule en scène, c'est un texte écrit avec elle et pour elle.

 

Intervention du groupe « recherche de terrain » : Le groupe de recherche de terrain qui a assisté au bord de scène avec Annick Bergeron en profite pour expliquer le genèse de la pièce. Elle a été coécrite par Annick Bergeron et Wajdi Mouawad. Nayla Mouawad (sœur du metteur en scène) apparaissait dans Seuls en ombre chinoise et en voix off. Annick Bergeron avait alors confié au metteur en scène qu'elle trouvait cela dommage de ne pas utiliser plus ce personnage qu'elle trouvait alors formidable. Elle lui a dit qu'elle aurait voulu travailler davantage, aller plus loin concernant ce personnage. Pour monter Sœurs, Wajdi Mouawad a donc recontacté Annick Bergeron et lui a proposé de réaliser le projet qu'elle avait dessiné sans s'en rendre compte lors de leur conversation à propos du rôle de Nayla Mouawad (qui deviendra Layla dans la pièce). Pour ce faire, la comédienne a rencontré la sœur du metteur en scène pendant un an de façon régulière afin d'en apprendre davantage sur elle, sa famille, sa vie. Le rôle d'Annick Bergeron était alors très important car elle permettait à l'auteur d'avoir un autre regard sur sa sœur que celle du petit frère dont il ne peut pas se défaire. C'est très dur d'écrire sur sa propre famille dit-elle. Ces rencontres entrent donc bien dans le processus de création car c'est la comédienne qui a impulsé la création et cela a impliqué une écriture commune. En effet, Wajdi Mouawad lui a demandé de faire ce spectacle en fonction aussi de son propre rôle d'aîné de famille, d'où le Sœurs au pluriel. Il voulait qu'elle parte de choses qui lui appartiennent, qui font partie de son histoire. Il l'a donc envoyée travailler seule en laboratoire dans un théâtre. C'est elle qui a écrit un premier canevas de l'histoire en regroupant toutes ses observations.

 

Suite à cela, certains expriment la sensation qu'ils ont eue d'un « rythme ficelé », déjà présent dans l'écriture même (un ou deux ont lu la pièce dans l'assistance), alternant entre passages touchants, émotionnels, qui sont sans cesse contrebalancés par l'humour, les effets stupides produits en grande partie par le fonctionnement interactif de la chambre (qui suit les commandes audios des personnages) pour ne pas tomber dans une certaine lourdeur ou langueur.

 

Il faut garder une écoute très active si le spectateur veut tout discerner et il y a une grande diversité dans les procédés pour permettre cette attention, quels éléments ont permis de ne pas tomber dans l'ennui ?

 

Justement, les participants qui se sont ennuyés déplorent que ces effets soient eux-mêmes trop longs, comme, selon eux, les dix minutes de chanson du début, la récurrence intempestive des phrases qui s'étirent, les monologues. Ils auraient souhaité plus d'énergie, de ruptures. Au contraire certains posent cela sur le compte du rythme quotidien, il s'est passé, certes, peu de choses en deux heures et dix minutes mais cela s'explique par la temporalité de la réalité au présent or cela est assez rare au théâtre et le changement est agréable. De plus, il n'y a pas de réel temps « vide », les projections pallient à ce que le spectateur ne peut pas voir (ce qui se passe dans la salle de bains), et la manière dont c'est utilisé (dessins et vidéo), cela implique un décalage avec ce quotidien proposé. Ainsi, ce pas de côté dans le quotidien permettrait moins d'ennui.

Les pointes d'humour répétitives et distillées sur toute la longueur du spectacle amènent également des moments de répit : il y un instant calme puis le frigidaire s'ouvre et crache des glaçons, le comique tient du rythme, et de son caractère impromptu. Il est possible de rire à propos de la futilité d'une situation un peu burlesque (Geneviève qui s'énerve très fortement à cause d'un « simple » problème de langue) et, sans comprendre, glisser très lentement vers le tragique (il s'agit de la manifestation extérieure d'un traumatisme chez le personnage). Il y a sans cesse une cassure dans les effets, c'est un équilibre qui maintient le spectacle comme une succession d'accalmies après les tempêtes elles-aussi successives.

 

Il y a cependant un certain consensus concernant la parfois trop importante longueur des vidéos ou des passages d'écritures. Pour quelques-uns il y a une incompréhension concernant les phrases qui défilent notamment car la seconde projection est interrompue au milieu, il y a la sensation d'une erreur technique alors que pourtant le fait que ce soit un spectacle d'un metteur en scène de l'envergure de Mouawad interdit les erreurs. Il est alors signalé que lors de la représentation du mercredi il y a eu un gros souci technique, le grill s'est rallumé d'un coup, il peut donc y avoir des erreurs humaines ou techniques quel que soit le metteur en scène. Le débat est alors relancé à partir de l'incompréhension évoquée plus haut. Celle-ci interroge également certains concernant les nombreux passages en langues anglaise et arabe. Une objection est posée car justement le cœur du spectacle est l'incompréhension de l'anglais, c'est là l'enjeu principal.

 

 

  • Vous êtes-vous sentis impliqués émotionnellement et/ou intellectuellement dans ce spectacle ?

 

Certains se disent dès le début impliqués avec l'impression que Geneviève donne un concert. Durant la conférence le spectateur se sent également concerné avec l'adresse directe vers la salle, elle parle au public. Ensuite, du point de vue émotionnel même si le texte ne résonnait pas forcément avec des histoires vécues, il touchait car était bien écrit. Il a souvent été question d'une émotion qui viendrait d'un seul coup, sans aucune explication logique, sans être prévisible, d'un coup une bascule s'opère et l'émotion émerge (alors que c'est parfois du banal au plateau : la conversation entre Layla et la mère de Geneviève). D'autres instants peut être moins détachés de la vie de chacun permettaient une implication voire une identification comme lorsque Geneviève fait son concert, chacun peut s'imaginer être une star et chanter (seul, dans une chambre, dans une voiture...). De plus, pour quelques-uns, la pièce a fait émerger des questionnements sur des choses qui ne leur posait pas question : le langage, l'importance de la langue. Cela résonne avec l'actualité, les personnages qui arrivent en France, doivent parler/apprendre le français alors que ce n'est pas leur langue maternelle et par conséquent il y a une impossibilité de communiquer.

 

Intervention de l’équipe en charge de la recherche de terrain : Annick Bergeron trouvait cela intéressant de faire d'un personnage médiatrice de conflit ou experte en sinistre des êtres ravagés par des conflits et sinistres intérieurs dont elles n'ont pas conscience. Les batailles de leurs parents sont les leurs, le fait d'en prendre conscience les fait changer. Cela résonne avec la vie même de Wajdi Mouawad ; on ne questionne pas forcément notre langue maternelle quand cela paraît évident mais lorsque l'on est en exil, ce rapport à la langue prend une toute autre lumière. Du point de vue du langage la sœur de Mouawad parle très bien arabe alors que ce dernier ne sait presque plus le parler, elle a pris l'accent québécois et lui non.

 

Le seule en scène serait particulièrement vecteur de cette émotion car le spectateur est dans l'intime, il n'y a pas forcément une distance et même lorsqu'il y a un interlocuteur (Layla), le spectateur peut sentir que Geneviève s'adresse directement à lui. Il est possible de vivre avec elle. Il a même été question pour une personne d'un spectacle qui « aide à vivre », qui est humble, dont on ne sort pas avec la prétention du metteur en scène. Chacun y trouve sa place.

 

Intervention de l’équipe en charge de la recherche de terrain : Wajdi Mouawad voulait faire de son héroïne un personnage du quotidien. Beaucoup de propositions scéniques sont issues de blagues entre la comédienne et le metteur en scène. Annick Bergeron a confié que le ludique au théâtre est très important, d'où les différents personnages et les clips qui les mettent en scène (dans la télévision par exemple), ce sont des improvisations qui ont mené aux idées de chaque clip. Elle avoue que le tournage de ces derniers était des « scènes de rigolades » retravaillées. De la même manière, elle a enregistré toutes les voix que l'on entend au cours du spectacle (réfrigérateur, télévision...).

 

D'un point de vue kinesthésique, certains expriment qu'ils ont pris plaisir à voir Geneviève détruire la chambre ; ils auraient voulu le faire également.

 

Après cela, le groupe d’animation introduit une citation de Wajdi Mouawad à propos de son travail sur les émotions :

 

A partir du moment où j’ai fait attention aux réactions des spectateurs, j’ai fait en sorte qu’il y ait un moment dans chaque spectacle où il y ait une émotion collective. Ça m’a vraiment intéressé parce que quand ce moment-là arrivait j’avais l’impression d’être un peu moins seul, de faire quelque chose d’un peu moins personnel […]. Tout d’un coup par le théâtre, j’arrivais à créer une seconde où la majorité des spectateurs étaient ensemble dans la même émotion, alors qu’ils n’ont pas eu les mêmes vies. Mais j’essaye d’y faire énormément attention parce que je ne veux pas tomber dans un fascisme qui ferait que tout le monde doive ressentir exactement la même chose. » Wajdi Mouawad[1].

 

 

  • Laisse-t-il le choix au spectateur quant à sa possible implication émotionnelle ?

 

Certains expliquent qu’ils ont vu, effectivement, une sorte d'émotion collective à côté d'eux (tout le monde riait en même temps, des bruits de pleurs se faisaient entendre…), mais à laquelle ils étaient complètement imperméables. La seule émotion collective qui a pu être ressentie avec les autres était l'identification quand elle chante dans la voiture. Ainsi, il y a eu l'impression qu'il aurait fallu ressentir quelque chose mais qu'il était compliqué de savoir quoi. Il a même été question de ne pas ressentir les bonnes émotions au bon moment dans un spectacle, d'être passé à côté. Différentes personnes font remarquer qu'ils n’ont pas senti partager avec qui que ce soit, mais d'être plongés dans leur émotion propre.

 

D'autres questionnent alors ce moment dont parle Wajdi Mouawad où il « faudrait » être touché, comment cela arrive-t-il ? Il n'y a pourtant pas d'accentuation du mélodramatique, d'effets musicaux… En effet certains moments pourraient être sur la brèche, s'enfoncer dans le pathos comme la métaphore des bisons (« les bisons arrivent Geneviève, les bisons arrivent » dit la sœur retrouvée de Geneviève au téléphone) mais pourtant il y a un quelque chose qui empêche que cela verse dans l'émotion facile. Quelqu'un fait part de ses pleurs à ce moment-là car même si cela n'avait aucun sens, le texte était directement porteur d'émotion. Le texte est pointé par beaucoup comme étant le vecteur de l'émotion, il serait virtuose (pas dans le sens d'intelligent car il n'y a pas forcément un vocabulaire pointu, la langue est plutôt simple). Wajdi Mouawad est en premier lieu un dramaturge, le texte est ficelé, pour certains cela tient presque à de la magie, d'autres l’expliquent plus par la précision et le travail.

Le sentiment d'être guidé, de devoir aller vers le sentimental a été perçu par d'autres et a justement pu être rédhibitoire. Quand Layla est près de la fenêtre et parle de l'exil du Liban, de la maladie puis la mort de sa mort, cette personne a vu les « ficelles » tendues, et comprenait qu'on voulait l'amener vers l'émotion ce qui l'a au contraire poussé vers l'absence d'empathie.

 

Ainsi, pour aller plus loin vers une tentative d'explication il est demandé de décrire une image qui aurait particulièrement marqué les spectateurs.

 

  • Quelqu'un parle non pas d'une image mais plus d'un effet lumineux : la lumière du matin quand Geneviève est encore sous le matelas, la lumière réussit à retranscrire parfaitement l'illusion du matin.
  • Le désordre, le fait de tout détruire et d'avoir le temps de voir tout se dégrader sous les mains de Geneviève. C'est surprenant mais cela imprime fortement l'esprit, il est difficile de se souvenir de la manière dont la chambre était rangée avant.
  • L'image du frigo qui déborde a pu être vectrice de rires.
  • Un intervenant parle de la sensation qu'il a eu lorsque Geneviève arrive dans le couloir de l'hôtel pour entrer dans la chambre, les numéros de chambre ont été vus comme des années, et cela a été perçu comme une ingénieuse manière d'insérer une machine à remonter le temps.

 

 

  • Dans Soeurs, Wajdi Mouawad parle encore une fois de lui, sa famille, ses origines… Face à une écriture si autobiographique, le spectacle ne devient-il pas une œuvre égocentrée ?

 

Les thématiques sont ouvertes à tous, Wajdi Mouawad parle de la famille, de la filiation, c'est ouvert à tous, on part d'un patrimoine commun, ainsi cela peut concerner beaucoup de monde. Certains disent que pour une fois c'est un spectacle qui pourrait revendiquer parler de l'humain sans que cela soit mal à propos ou une expression fourre-tout. Le titre même, Soeurs, n'est pas si juste que cela, cela embrasse bien plus de thèmes que le seul rapport à la fraternité.

 

L'égocentrisme peut venir a posteriori, quand on se renseigne sur le processus de création, les autres spectacles de Mouawad, or ici, les spectateurs ont tendance à dire que si cela n'a pas été senti pendant qu'ils regardaient la pièce c'est que cette question ne se pose pas. De plus, certes il s'inspire de sa vie mais il ouvre quand même son œuvre, cela a été perçu comme sincère, juste. Il est alors question de l'importance de connaître son sujet quand on fabrique un spectacle : pour certains il est préférable d'avoir quelqu'un qui a vécu ce dont il parle et qui a envie d'en parler, car il y a une forme de vérité ; d'autres contestent, disant que ce n'est pas parce que l'on a vécu ce dont on parle que cela fait du créateur la meilleure personne pour l'évoquer mais que, dans le cas de Mouawad, il prend beaucoup de recul et ouvre son sujet donc cela fonctionne. Il ne parle pas que du Liban ou du Québec mais surtout de la frontière, de l'exil, de la migration, il parle de l'actualité. C'est un contexte suffisamment large pour toucher tout le monde (chacun peut entendre parler de ces problématiques).

 

Ceux qui connaissaient déjà des œuvres de Mouawad voient tout de même une récurrence dans sa mise en scène : le rapport au texte, à la couleur bleue, à la vidéo… Cela fait partie du Cycle Domestique, il est important de replacer le contexte, de ce fait il se réfère à sa vie mais l'autoficition n'est pas visible lorsque l'on n'en a pas connaissance ainsi cela ne devient pas égocentrique même s'il est relevé que la blague de Geneviève à propos de son nom écorché trouve assez facilement source dans le nom même de Wajdi Mouawad.

 

 

  • Comment donc est provoquée cette ouverture, ce « tout le monde connaît » que beaucoup évoquent ?

 

Le quotidien serait encore une fois la raison principale de la prise en compte de la plupart des spectateurs. C'est cela qui rapproche la salle et la scène, de même que la notion du temps qui passe en direct, il n'y a pas d'ellipses. De plus, le personnage n'est pas présenté par ses exceptions (son travail de médiatrice est un détail qui permet le rapprochement avec des situations plus connues comme sa relation avec sa mère, le travail a du sens pour parler d'autre chose).

 

Tous les détails accumulés sur le personnage ses rejoigenent au moment du dévoilement (on comprend le sinistre qui habite chaque personnage), ce n'est pas anecdotique. Certains ont par exemple été déçus de ce dévoilement, ils auraient préféré ne pas avoir une explication à tout, il y a peut-être un peu trop de didactique chez Mouawad, il aurait été moins décevant pour certains de perdre un peu plus le spectateur, de ne pas le guider autant (phrases, redondances…). C'est d'une certaine manière un spectacle rassurant, il y a une grande complétude (sur scène tout se déroule parfaitement, les éléments s’emboîtent, dans le public les spectateurs ont peu à peu les clés du spectacle…). Il n'y a pas d’ébranlement dans les convictions de chacun, la pièce permet un regard de côté sur une situation, permet d'émouvoir mais rien ne se déplace. Il y a même de la place pour que ceux qui n'adhèrent pas forcément au propos sortent du spectacle sans être révoltés car tout cela part de l'intime, le spectateur choisit ou non d'universaliser et de créer des parallèles.

 

 

  • Le fait que ce soit Wajdi Mouawad a-t-il motivé des attentes spécifiques ?

 

Globalement beaucoup d'attentes entouraient le spectacle de Mouawad. Les déceptions viennent principalement du manque de grandiose dans la mise en scène, certains auraient voulu plus mais de manière générale beaucoup ont été très touchés par le texte. Après, il ressort comme évident qu'aller voir une pièce de Wajdi Mouawad quand on est étudiant en théâtre est important, ne serait-ce que pour savoir ce que c'est. Ceux qui connaissaient déjà expliquent qu'il y a une grande différence entre les pièces mises en scène et écrites par Mouawad et celles uniquement mises en scène. Une spectatrice avait déjà vu la pièce, en était ressortie mitigée et a beaucoup apprécié cette fois-ci. Certains étaient toutefois étonnés car ils ne savaient pas précisément à quoi s'attendre : les touches d'humour notamment étaient semble-t-il inattendues

 

Intervention de l’équipe en charge de la recherche de terrain : Certains spectateurs interrogés avant et après le spectacle ont avoué être venus uniquement sur recommandation ou parce que le nom leur disait quelque chose. C'est la notoriété de Wajdi Mouawad qui a, semble-t-il, le plus poussé les personnes interrogées à venir voir Soeurs, associé au visionnage du film Incendies de Denis Villeneuve, programmé en partenariat avec l’Utopia à Bordeaux.

 

 

Au travers de ce débat nous avons abordé les questions du rythme, des émotions et du statut de l’autofiction présentée sur scène. Ce qui ressort, finalement, c’est que ce spectacle a beaucoup fait appel aux ressentis propres des spectateurs, à la manière dont ils se sont laissés émouvoir par le spectacle. Nous sommes ainsi en mesure de nous interroger : si avec cette pièce Wajdi Mouawad a pu toucher l’intimité d’un si grand nombre, s’agit-il encore de quelque chose que l’on peut appeler intimité ou cela relève-t-il plus d'un espace commun ?

 

[1] MOUAWAD Wajdi, propos recueillis par NAVARRO Mariette, « L’ébranlement, Le choc, le bouleversement », in Outrescènes n°11, juin 2008.

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2 avril 2016 6 02 /04 /avril /2016 08:09

Krinomen du 24 mars 2016

Compte rendu rédigé par : Mathieu Cuomo et Sarah Ben Amor

 

 

C'est dans la salle de répétition que se déroule le Krinomen sur le spectacle de Rodrigo Gracia, 4. Pour commencer nous accueillons les étudiants en dansant la cumbia et les invitons à nous rejoindre tout comme dans le spectacle. Une fois l'ambiance installée nous passons au vif du sujet.

Le Krinomen est divisé en trois parties, une première partie purement descriptive afin de rappeler les différents éléments scéniques et de décrire le spectacle à ceux qui ne l'ont pas vu, même si une majorité des étudiants ont été le voir.

La deuxième partie commence par une citation de Rodrigo Garcia qui nous permet de traiter la question de la responsabilité du metteur en scène vis à vis de ce qu'il montre sur scène.

Il en est de même pour la troisième partie qui commence elle aussi par une citation et qui nous permet de discuter sur la fiction dans les œuvres de Rodrigo Garcia.

 

Partie I:


La première chose qui est demandée est le nombre de personnes qui ont été voir le spectacle. Parmi les étudiants présents une grande partie l'a vu. Plusieurs questions sont posées, la première porte sur la scénographie. Elle est composée d'un mur blanc sur lequel se trouvent des projections, un sol blanc, un gigantesque savon de Marseille à jardin, un petit plateau en bois et des chaises, Sur une des chaises une peau de bête, plusieurs micros, un écran vert, et derrière le mur blanc un espace coulisses que l'on voit grâce à la projection.

 

Puis nous demandons de décrire les effets sonores et visuels utilisés lors du spectacle. La plupart du temps le texte est en voix off. Une part importante est faite pour la musique qu'elle soit enregistrée ou en live (guitare électrique). Des contrastes sont signalés entre la musique enregistrée et en direct, il s'agit surtout d'une question de volume sonore. Des projections en direct ont lieu, par exemple lors du maquillage des petites filles ou alors lors la scène des plantes carnivores. Une description plus approfondie est faite pour la scène avec le tableau « l'origine du monde » de G. Courbet. En effet le tableau est projeté sur le mur blanc, un des comédiens joue alors au tennis et fait rebondir une balle sur le tableau; A chaque fois que la balle touche le mur, le tableau se tord dans un bruit. Tous les huit coups une véritable photo de vagin est incrustée rapidement telle une image subliminale. Plus tard dans le spectacle un effet olfactif est produit grâce au savon de Marseille présent sur scène mais aussi une odeur de cigare est évoquée.

 

Nous en venons ensuite à la présence humaine ou vivante sur scène. Il y a quatre comédiens dont une femme, deux petites filles de neuf ans, quatre coqs dont deux blancs et deux marrons «affublés» de baskets les empêchant de s'envoler. À un moment du spectacle, les comédiens invitent des membres du public à monter sur scène pour danser la cumbia. Le nombre de spectateurs sur scène varie en fonction des soirs; le deuxième soir on pouvait compter a peu près 20 personnes sur scène. Il y a également des plantes carnivores et des vers, ainsi que des maquilleuses pour préparer les enfants.

 

Il est maintenant question de l'interprétation des comédiens. Les étudiants trouvent qu'il n'y avait pas de jeu à proprement parlé puisque les comédiens-performeurs ne jouaient pas de personnages. Un rapport très doux était établi entre la femme et les trois hommes et un des étudiants souligne qu'il était assez rare de voir les quatre comédiens interagir entre eux. L’interprétation des comédiens était aussi vive lors des passages performatifs que lors passages parlés. Certains étudiants pensent qu'il n'y avait pas d'incarnation car il n'y avait pas de fiction. Après une discussion les étudiants semblent s’être mis d'accord pour dire qu'il s'agit plus d'une succession de tableaux et non pas d'une histoire contenant un fil conducteur.

En parlant de fil conducteur nous demandons aux étudiants s'ils ont réussi à le suivre pendant le spectacle. Beaucoup n'ont pas vu de continuité entre les différents éléments scéniques sur la totalité de la pièce même si certains pensent avoir vu un lien entre quelques tableaux. Très vite la conversation dérive sur ce qu'est vraiment un fil conducteur et c'est là que les avis divergent. Certains pensent que le fil conducteur de la pièce est l'interprétation de la société par Rodrigo Garcia.

Une personne explique qu'un fil conducteur n'est pas forcément une histoire, et qu'il peut s'agir de la présence des comédiens ou même de la scénographie qui est toujours la même sur scène. Une élève pense que dans cette pièce se trouve une sorte de « boucle » puisque celle ci commence par un «récit moralisateur » et finit de la même manière. Pour d'autres, le fil rouge peut être un ensemble de petits récits créés par la perception du public ; on peut trouver de la narration dans ce genre de spectacles mais cette narration reste perçue par le spectateur.

 

Et pour finir cette première partie, les animateurs demandent alors aux étudiants les thèmes qu'ils ont pu souligner dans la pièce. Les étudiants se mettent vite d'accord sur le fait que le thème principal abordé concerne les relations sexuelles, divers termes sont cités tels que : « sexualisation infantile », « consentement », « viol », « rapport entre hommes et femmes », « zoophilie ». De la discussion ressortent  d'autres thèmes plus ou moins perçus par le groupe comme le rapport entre l'homme et l'animal mais aussi le théâtre. D'autres ne voient pas de thèmes mais plus une succession de tableaux. Au cours de l’échange il est ressorti le terme « obsession » car il semble que les thèmes dont parle Rodrigo Garcia se rapprochent plus d'obsessions.

 

 

Partie II:

 

La seconde partie du Krinomen commence par une citation de Rodrigo Garcia tirée du bord de scène du spectacle :

 

"Pour ceux qui cherchent un thème, nos pièces sont idéales : comme nous ne nous y arrêtons jamais, la recherche du thème appartient au spectateur, ce sera son passe-temps, devoir déchiffrer ce qui dans la pièce lui semble familier ou évocateur."

 

L'utilisation du terme «passe-temps» va faire débat tout au long de cette partie car pour le groupe il est assez paradoxal d'utiliser ce mot alors que le metteur en scène travaille sur quelque chose d'assez violent. Vient alors la question de la responsabilité du metteur en scène vis-à-vis de ce qu'il montre. Plusieurs questions ressortent des discussions. Quelques étudiants ont l'impression que Rodrigo Garcia se moque des gens mais sans pleinement l'assumer puisqu'il reporte toute la responsabilité sur la compréhension des spectateurs. Pour Rodrigo Garcia, ce que comprend le spectateur n'est pas forcément ce qu'il veut montrer et c'est là que la moquerie interviendrait car Rodrigo Garcia ne veut pas expliquer ce qu'il représente sur scène. Un étudiant demande si pour Rodrigo Garcia la culture du viol est naïve. En effet, pour lui la scène du sac de couchage est représentative de la culture du viol et trouve par la même occasion l'utilisation de « passe-temps » plus que contestable et indécent vis a vis de ce qui est montré sur scène. Pour certains étudiants, il n'y a aucun thème développé dans le spectacle,  D'autres enfin, ont vu des éléments flous qu'ils n'ont compris qu'une fois la discussion entamée.

Un étudiant pense qu'il y a deux perceptions du spectacle, une qui se base sur le ressenti et une autre sur ce qui se passe sur scène et ce que l'on comprend. Certaines personnes ont été dérangées par la façon dont on parle du viol (ou dont on ne parle pas) et de ce que l'on en fait sur scène. Ce n'est pas nécessaire de faire vivre une expérience traumatisante à quelqu'un pour faire comprendre de quoi il relève (on parle ici de la scène des sacs de couchage, jeudi soir une jeune fille de 17 ans a été choisie par les comédiens. Celle-ci ne s'est pas rendu compte de ce qu'elle faisait sur scène, ce n'est qu'une fois dehors, lorsque ses amis lui ont raconté, qu'elle a compris.)

Toujours en rapport à la scène des sacs de couchage, Rodrigo Garcia dit lors du bord de scène que pour lui cette scène est juste drôle,qu'elle ne dénonce rien. Un étudiant répond qu'il s'agit peut-être d'un passe-temps pour Rodrigo Garcia mais pas pour les spectateurs. Une étudiante raconte que les spectateurs du TNBA ont reçu une semaine avant la représentation un mail leur expliquant qu'ils pouvaient invités à monter sur scène pour une séquence particuière.

"Sans dévoiler le contenu du spectacle, nous déconseillons ce spectacle aux moins de 16 ans et attirons l’attention des spectateurs sur le fait que des propos et images peuvent heurter certaines sensibilités. Par ailleurs, dans une scène de 4, les comédiens invitent quelques spectateurs ou spectatrices à monter sur scène et l’un(e) d’entre eux est mis(e) à contribution dans une situation que d’aucuns trouveront drôle ou délicate, c’est selon." (extrait du mail)

 

L'étudiante souligne qu'il y a un décalage entre ce à quoi on nous prépare, ce que l'on voit sur scène et ce que Rodrigo Garcia nous dit. Pour elle, il s'agit d'une scène d'humiliation publique. Une autre personne pense au contraire qu'il s'agit surtout d'une question de choix. Les spectateurs sont prévenus, ils sont libres de monter ou non sur scène. 

La scène du sac de couchage semble jouer un rôle important dans la réception du spectacle en fonction de qui monte sur scène. En effet le mercredi soir, la personne choisie était une ancienne étudiante en théâtre, très sensibilisée au travail de Rodrigo Garcia. Le vendredi, c'est un étudiant  de Licence 3 qui a été choisi, c'est d'ailleurs le seul homme qui aura été choisi durant les trois soirs de représentations. Nous avons pu l'interroger puisqu'il était présent lors du débat. Il confirme que l'on ne se rend absolument pas compte de ce qui se passe sur scène : il était enfermé dans un sac de couchage et on lui demandait de frotter un micro contre la paroi du sac. Ceci dit, il n'a pas vécu une expérience traumatisante et en a même beaucoup ri.

Vu que les spectateurs sont potentiellement prévenus des risques encourus, une personne rappelle le principe du consentement mutuel éclairé donné aux hôpitaux avant une opération. Le principe semble être le même ici, nous sommes prévenus, nous venons, le metteur en scène est alors dédouané de toute responsabilité si ça ne se passe pas bien. 

 

 

 

Partie III:

 

Dans la troisième partie du débat du Krinomen, les avis divergent de plus en plus. D'un côté se trouvent ceux qui défendent le spectacle, et de l'autre ceux qui ne reçoivent pas ce spectacle comme un simple objet d'amusement.

En effet, durant le bord de scène Rodrigo Garcia explique que son spectacle a été créé juste pour l'amusement. Cette réflexion fait débat. Une élève proteste et va à l'encontre de ce que Rodrigo Garcia dit par rapport à son spectacle. Selon elle, c'est bien trop facile de parler d'amusement après toute ces choses que l'on a pu voir sur scène, nous attendons forcément une explication. On ne peut pas lancer violemment des balles de tennis sur « l'origine du monde » sans arrière-pensée. 

Beaucoup d'étudiants pensent que Rodrigo Garcia s'échappe de toutes explications sur son spectacle afin de ne pas avoir à se justifier. D'autres pensent que Garcia est toujours dans la provocation et c'est la raison pour laquelle il ne souhaite pas nous en dire plus sur ses spectacles, puisque c'est au public de faire sa propre interprétation.

Beaucoup de spectateurs dans la salle ont fait référence à la culture du viol. Selon eux, Rodrigo Garcia construit des images et des séquences sans se soucier de ce à quoi elles font référence et de ce qu'elles provoquent chez le spectateur. Quelqu'un dans la salle soutient que ce n'est pas parce que l'on montre des images choquantes sur scène que l'on en défend nécessairement les propos.  Une autre personne surenchérit en disant que Rodrigo Garcia ne fait qu'acquiescer le viol. La tension monte de plus en plus dans la salle et les avis se percutent de plus en plus.

La fameuse scène du sac de couchage revient sur le tapis. L'un des soirs de la représentation, une jeune fille est invitée sur scène alors qu'elle n'a que 17 ans. Un des élèves manifeste son désaccord par rapport à cette scène, en soutenant que quand bien même Rodrigo Garcia soutient le rôle de la fiction dans cette scène, la personne reste non consentante de cet acte, personne ne sait ce qu'il va se passer encore moins la jeune fille qui était sur scène. Cette jeune fille prénommée Claire, ne s'est rendu compte de rien et encore moins de ce que la comédienne était en train de lui faire. 

 

On se pose alors la question de la fiction, en effet à partir de quel moment la fiction n'existe plus sur scène ? Certains voient de la fiction pendant le spectacle. Un étudiant par exemple fait référence à la scène du savon de Marseille, où deux comédiens s'amusent sur le savon d'une tonne. Cette scène a évoqué pour lui une histoire d'amour entre un homme et une femme. Pour certains, le texte à la limite pourrait faire œuvre de fiction mais le reste du spectacle ne représente rien, ne raconte rien, ils restent déçus d'un spectacle considéré comme  inachevé. Quelqu'un témoigne de son incompréhension face à ce spectacle qui demande beaucoup au spectateur puisque de nombreuses images sont jetées en plein visage sans aucune explication. Rodrigo Garcia "en a fait trop" ou alors pas assez mais ce qui est sûr c'est qu'il a divisé le public en deux parties entre ceux qui ont apprécié ce spectacle et d'autres qui ont complètement détesté.

Son passé de plasticien se ressent dans son travail de mise en scène. En effet les images développées sont comme une succession de tableaux peints sans explication. Certains spectateurs n'ont pas été dérangés par ce manque apparent de lisibilité, alors que d'autres pensent que ces tableaux n'ont aucune esthétique, aucun sens et aucune pertinence. 

 

Rodrigo Garcia enthousiasme autant qu'il offusque. Chacune de ses créations fait grand bruit. Il est connu pour choquer et déranger le public. Cette fois-ci, un grand nombre de spectateurs reste très déçu par ce nouveau spectacle intitulé 4. Rodrigo Garcia nous laisse devant plusieurs tableaux qui pourraient être très poétiques et significatifs mais un sentiment d'incompréhension nous envahit et le spectacle nous échappe.

 

De plus, durant le bord de scène, Rodrigo Garcia n'a pas répondu aux questions du public afin de ne pas avoir à se justifier. Sa seule réponse est qu'il n'y a rien à comprendre dans les images qu'il propose, que l'amusement est le moteur de ce spectacle. Difficile pourtant de se satisfaire de cette réponse face à des coqs en baskets enfouis dans les pantalons des comédiens... 

 

Malgré beaucoup de mauvaises critiques, quelques spectateurs restent touchés par 4 et semblent avoir compris la portée poétique et symbolique du spectacle. Nous savions que ce débat serait animé, puisque 4 est un spectacle qui a fait scandale dans les classes théâtre de Bordeaux 3. Dès la sortie du spectacle, les conversations et les échnages véhéments ont démarré. Ce qui est sûr c'est que le Krinomen animé sur le spectacle de Rodrigo Garcia aura été le débat le plus animé que l'on ait connu.  

 

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  • : Le blog du krinomen
  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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